GÉOportrait : L'histoire, son bouquet de cartes et le PolleN
Isabelle Parmentier, professeur d'histoire et vice-rectrice de l'Université de Namur (UNamur) nous accueille pour nous parler de son métier, de l'usage du Géoportail de la Wallonie par les étudiants et les chercheurs, mais aussi du PolleN, le centre d'études en histoire environnementale qu'elle dirige, sans oublier la récente mise en ligne du bouquet cartographique wallon
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L'histoire, son bouquet de cartes et le PolleN
Isabelle Parmentier est prof d'histoire et vice-rectrice. Elle nous accueille dans son bureau de la rue de Bruxelles, le cœur historique de l'Université de Namur. La reproduction "grand format" d'une vieille carte postale de Nivelles plante le décor sur son métier de professeur d'histoire et sur cette rencontre autour de la carte ancienne et de son usage.
photo : UNamur
Madame Parmentier, merci de nous recevoir.
Première question : en tant que professeur d'Histoire mais aussi chercheuse, le Géoportail de la Wallonie et WalOnMap, ça vous parle ?
"Oui bien sûr. Je donne un cours intitulé "Heuristique des temps modernes". Il est destiné aux étudiants en Histoire et en Histoire de l'Art et Archéologie. Ce cours présente aux étudiants les différentes ressources documentaires pour faire de la recherche. Dans le panel des outils présentés, une partie est consacrée aux ressources cartographiques en ligne. À cette occasion, je fais une présentation des possibilités du Géoportail. Cela dit, je sais difficilement mesurer s'ils en ont l'usage mais je pourrais facilement imaginer un exercice faisant appel à votre outil.
Je pilote aussi un centre de recherche : le PolleN (Pôle d’histoire et de sociologie environnementales de l'Université de Namur). Ce dernier est constitué de chercheurs qui s'intéressent aux changements environnementaux. Dans ce cadre, certains membres ont besoin de données cartographiques et mobilisent les catalogues du Géoportail. Je précise que les recherches portent plus précisément et plus concrètement sur des sujets pointus qui nécessitent des données assez circonscrites."
Si on s'attarde sur les besoins du PolleN, si on vous comprend bien, l'intérêt est double. D'une part, les cartes anciennes et d'autres part, les cartes plus récentes liées à l'environnement ?
"Effectivement, le centre a des thématiques qui sont extrêmement variables : la localisation de fortifications urbaines, les surfaces boisées, les sites industriels … le panel est assez large et mobilise aussi bien des cartes anciennes que des cartes thématiques plus contemporaines ou plus spécifiques. L'activité du PolleN est transpériode. Elle va du XVIème siècle jusqu'à nos jours. Par exemple, j'ai une doctorante qui vient de terminer sa thèse sur l'impact des activités militaires d'un point de vue environnemental sur les villes. Pour mener à bien son travail, elle a abondamment utilisé des données cartographiques."
Les travaux du centre se focalisent sur l'histoire environnementale. C'est une discipline assez récente, qui jusqu'il y a peu, était inconnue. N'est-ce pas difficile de trouver des archives en lien avec une notion qui n'existait pas sous sa forme actuelle ?
"Tout cela dépend fortement du volet de l'histoire environnementale qui est concerné. Il y a des volets qui correspondent à des sources bien identifiées. Par exemple : l'histoire des forêts. Depuis longtemps, les propriétaires terriens ou de domaines forestiers ainsi que le domaine public ont fait faire des représentations cartographiques de leurs propriétés. L'histoire des forêts est d'ailleurs un sujet traditionnel en histoire de l'environnement.
Par contre, le PolleN développe beaucoup un autre aspect qui est celui de la pollution (industrielle, des sols,…). Pour cette préoccupation contemporaine, c'est plus difficile de disposer d'informations. Les cartes anciennes peuvent être intéressantes. Évidemment, on ne va pas y trouver de l'information telle qu'on la propose aujourd'hui. Les zones polluées n'étaient pas représentées à l'époque. Mais, sur certaines cartes, notamment celle de Ferraris, on a le lieu d'implantation de certaines industries (fosses à houille, entreprises métallurgiques …). En fait, à travers les cartes des XVIIIème et XIXème siècles, on fait la chasse à la localisation de données en lien avec l'activité industrielle."
Vous parlez de cartes historiques. Les principales proposées dans les catalogues du Géoportail sont celles de Ferraris (1777), Vandermaelen (1850) et celle du dépôt de la guerre (1865). Laquelle a votre préférence ?
"Elles sont toutes les trois très différentes. En ce qui me concerne, j'utilise plus régulièrement celle de Ferraris car mes recherches portent sur le XVIIIème siècle. Toutefois, la carte de Vandermaelen est encore fort utile même quand on travaille sur le XVIIIème et le début du XIXème siècle. La carte de Vandermaelen est très riche et livre des informations pertinentes pour des périodes plus anciennes. Vandermaelen sert donc souvent de référence. Référence qui est évidemment remise en perspective et comparée avec des sources écrites."
En savoir plus sur les cartes anciennes disponibles dans les catalogues du Géoportail
Puisqu'on évoque la recherche et l'exploitation de données historiques, parlez-nous de ce nouvel outil qui vient d'être mis en ligne et qu'on appelle "Bouquet cartographique wallon" ?
"Le Bouquet cartographique wallon c'est une plateforme en ligne créée par l'université. Elle propose des cartes qui sont uniquement des réalisations d'historiens des XIXème, XXème et XXIème siècles. Il ne s'agit donc pas de cartes anciennes mais bien de cartes thématiques faites par des chercheurs. À ce jour, la plateforme compte plus de 350 cartes."
En savoir plus sur le Bouquet cartographique wallon
La plateforme rassemble donc des cartes qui ont déjà été publiées dans le cadre d'ouvrages, d'études, de publications académiques ou encore de mémoires ?
"En effet, à ce titre, on a fait une démarche systématique vers les auteurs de cartes et vers les éditeurs pour disposer des droits de mise en ligne. Toutes les cartes sont documentées et il est possible de faire une recherche selon différents mots-clés (sujets thématiques, époques, lieux actuels, anciennes circonscriptions administratives). Une fois un document identifié, il se présente en haute qualité et on a la référence précise de l'ouvrage d'où il est tiré. Le projet ayant été mené en partenariat avec la bibliothèque universitaire Moretus Plantin, on dispose aussi de la cote de rangement. Cela permet de renvoyer vers l'ouvrage où se situent les explications complètes en lien avec la carte. Sauf avis contraire de l'éditeur, chaque carte est téléchargeable."
Ce Bouquet cartographique wallon est-il accessible à tout le monde ?
"Absolument. Le bouquet n'est pas réservé uniquement aux chercheurs. Il est accessible à tous. Par exemple, une campagne d'information va être lancée prochainement à destination des professeurs de l'enseignement secondaire. Une campagne visant à alimenter le catalogue pour l'enrichir est aussi prévue."
Pouvez-vous nous dire comment est né ce Bouquet ?
"C'est un peu particulier. Il s'est construit au fil des recherches menées par le PolleN et sans ressources extérieures. La dizaine de chercheurs que compte le centre a d'abord été sollicitée. Chaque mois, ils ont identifié trois cartes qu'ils jugeaient pertinentes ou utiles à leurs recherches. Cette première étape était fortement orientée par les thèmes de recherche. Dans un second temps, on a cherché à équilibrer le contenu en identifiant des cartes incontournables, qui devaient figurer dans l'outil. On a également ajouté certaines cartes de référence issues des manuels scolaires. Le bouquet proposé a donc été créé de manière assez spontanée et empirique.
Pour ce qui est du volet informatique, il a entièrement été pris en charge par la cellule informatique de la bibliothèque universitaire."
Le Bouquet cartographique wallon, le Géoportail de la Wallonie … fini la recherche de cartes en bibliothèque. Est-ce que l'arrivée d'internet et des outils en ligne ne rend pas la recherche documentaire plus facile ?
"En fait, les problèmes sont d'une nature tout à fait différente. Autrefois, la difficulté c'était la recherche. On n'avait pas les outils en ligne qui facilitent l'accès aux documents de manière incroyable. Aujourd'hui la difficulté c'est de se retrouver devant une pléthore de documents. La complexité actuelle devient donc la gestion documentaire. Cette dernière est une réelle difficulté et je pense qu'elle n'est pas moins grande que la difficulté qu'il y avait autrefois à trouver les documents. À l'époque, quand on trouvait le document recherché, on avait fait tout le chemin qui permettait de parvenir à ce document. On savait sur quoi on tombait. Maintenant, on a rapidement une avalanche de documents qui apparaissent de manière "déconnectée". Il faut donc les relier à leur contexte de création."
Face à cela, pour en revenir à votre métier de professeur d'histoire, est-ce que vous voyez une évolution chez les étudiants ?
"Oui. C'est clair que le point de départ des étudiants aujourd'hui, c'est une recherche par mot-clé à partir des moteurs de recherche les plus courants. Cela veut dire que ce que les moteurs de recherche ne montrent pas est beaucoup plus difficile à atteindre pour les étudiants. Autrefois, le répertoire bibliographique était un outil spécifique quasi incontournable. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. On part tout de suite sur les moteurs de recherche … ce qui a du bon, cela permet de maximiser l'accès à certains types de documents … mais au détriment d'autres références utiles. Par exemple, je vois très fort la différence chez les étudiants d'une recherche d'ouvrages sous la forme d'une monographie et la recherche d'articles issus de revues et publications. Cette dernière est beaucoup plus spécifique et cela ne vient pas spontanément."
Dernière question, récemment, Francis Balace, célèbre historien, a dit lors d'une conférence qu'il craignait l'impact de la perte de qualité des documents actuels (disparition des cartes papier, rareté des manuscrits, qualité des matériaux, informatisation grandissante, …) sur sa discipline, Est-ce que vous partagez cette préoccupation ?
"Oui je pense aussi qu'il y a un risque réel. Maintenant on est aussi dans une multiplication beaucoup plus importante qui fait que si on perd un fichier, on l'a probablement envoyé par mail à d'autres personnes et le document se retrouve chez ces autres personnes. Ce que je vois surtout, c'est un risque sur le long terme et la question de la compatibilité des systèmes informatiques. Quand on voit qu'il n'y a pas si longtemps que cela on faisait encore appel aux disquettes. C'est un réel problème qui est pris à bras le corps par les centres d'archives."
Madame Parmentier, merci pour votre disponibilité et votre accueil.
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