Afin d’accompagner l’administration mais aussi les autorités politiques dans le suivi des inondations, le Département de la Géomatique (DGMa) ainsi que la Direction des Cours d’Eau non-navigables (DCENN) du Service public de Wallonie, avec le soutien de nombreux autres acteurs publics, ont réalisé un état des lieux cartographique de la situation. Un état des lieux où le caractère géographique des données associé au croisement de différentes sources a montré toute son importance.
Au lendemain des inondations qui ont surpris la Wallonie du 14 au 16 juillet 2021, la Wallonie a rapidement sollicité toutes les forces vives disponibles pour faire face à une situation exceptionnelle et encore jamais rencontrée jusque là.
Etat des lieux cartographique
Parmi les premières entités à proposer leurs services, on retrouve le DGMa et la DCENN .Au départ, la demande formulée par les autorités, Commissariat spécial à la reconstruction en tête, porte moins sur une cartographie de la situation à l’issue des évévements que sur un bilan le plus complet possible de l’ampleur des dégâts (immeubles, infrastructures, voiries …).
Commune de Trooz (Source : SPW - DCENN 2022)
Dans un premier temps, La demande des autrorités vise surtout à recenser l’impact des inondations (immeubles, voiries, infrastructures …),
C’est urgent
Avant de rentrer dans le vif du sujet et d’évoquer la chronologie du processus, il y a lieu d’attirer l’attention sur l’urgence plurielle de la situation. Cette dernière a eu un impact non négligeable sur le déroulement des opérations ainsi que sur les orientations prises durant les phases-clé de ces travaux.
Il faut d’abord évoquer l’urgence sur le terrain, celle qui fait que dans les premières heures, certaines missions de l’administration, dont celle évoquée dans cet article, passent au second plan. Logiquement, on se mobilise d’abord pour les missions prioritaires que sont l’aide aux sinistrés ou encore la lutte contre la « sur-catastrophe ». La récolte de données ou la documentation des faits apparaissent comme accessoires.
Ensuite, l’urgence dans la communication des résultats, une urgence dictée par le calendrier des autorités qui souhaitaient disposer rapidement des documents utiles et des chiffres nécessaires à la prise de décision. Les avancées sont régulièrement communiquées, pas le temps parfois d’attendre les derniers chiffres ou la prise en compte de nouvelles données en cours de réalisation.
Premières données disponibles
Pour établir au mieux l’état des lieux demandé, plusieurs sources sont identifiées. Elles constitueront la base des premières réflexions. Dès la fin juillet, l’équipe dispose de photos aériennes. Premièrement,celles réalisées par la DCENN les 16 et 19 juillet (4070 photos). Deuxièmement, celles réalisées par l’Institut géographique Nationale (IGN - geo4Crisis) les 20 et 21 juillet (2349 photos). .
A partir des milliers de photos mises à disposition, l’équipe réalise un premier travail visant à digitaliser des polygones sur les dernières orthoimages disponibles, celles de 2020.
Un travail fastideux qui amène son premier lot de difficultés :
- les photographies ont été prises plusieurs jours après la catastrophe et ne sont plus le reflet exact de la situation à analyser,
- seule une partie du territoire concerné a fait l’objet des prises de vue, on retrouve essentiellement les zones touchées par débordement, le ruisselement est peu présent,
- les traces d’inondation pour les zones urbaines sont peu visibles et rendent la délimitation difficile
Commune de Pepinster, Confluence entre la Vesdre et la Hogne (Source : IGN – 2021) –
Photo verticale non orthorectifiée. Elle permet d’identifier les degats suite au passage de l’eau. Pas facile cependant de delimiter la surface inondee en zone urbaine.
Zone topographique « test »
Face à la difficulté de cartographier l’impact en zone urbaine, la décision est prise de se rendre sur place. Une équipe de topographes et de géomaticiens est mobilisée et se rend à Verviers. Objectif : établir et tester une méthode « topographique ». En quoi consiste-t-elle ? Tout d’abord, constitution d’une base de données recensant les traces d’hauteurs d’eau observables sur le terrain (valeurs absolues DNG et LB72). Ensuite, partant de ces données, identification d’une série de points de référence sur différentes zones (ponts, places…) permettant de modéliser sous la forme d’un escalier les hauteurs d’eau moyennes mesurées. Enfin, une première simulation de la zone inondée est générée en croisant le modèle dit « en escalier » avec le modèle numérique de terrain établi par le SPW en 2013-2014 via LiDAR.
Pour chaque marche du modele « en escalier » issu des donnees topographiques, croisement avec le modele numerique de terrain (MNT) de la Wallonie 2013-2014
Catégorisation des communes
Ce n’est évidemment pas encore parfait mais la digitalisation des photographies aériennes associée au travail de terrain permet de disposer d’une première vue des zones inondées. Une réalisation qui avant d’être la première officiellement diffusée va être confrontée à la catégorisation des communes arrêtée par le Gouvernement wallon. Pour rappel, le Gouvernement wallon a défini 3 catégories pour classer les communes impactées par les inondations. Cette catégorisation a pour but de prioriser les interventions et de fixer les plafonds des interventions financières (fonds des calamités, subsides exceptionnels …)
Catégorie 1 | Caté&gorie 2 | Catégorie 3 |
9 communes | 19 communes | 181 communes |
L’idée est donc de fournir une carte des zones inondées sur l’ensemble des communes de catégorie I (Chaudfontaine, Esneux, Liège, Limbourg, Pepinster, Rochefort, Theux, Trooz et Verviers). Face à l’impossibilité de reproduire la méthode topographique, chronophage et mobilisatrice de ressources, l’équipe va utiliser deux nouvelles données lui permettant de compléter la cartographie existante et la modélisation du plan d’eau de l’inondation. Les deux données sont les cartes des zones inondables défini par scénario d’inondation et, pour les communes d’Eupen et de Limbourg, l’altitude des laisses de crue.
Enquête de terrain « géomatique »
Si la reproduction à grande échelle de la méthode topographique est rapidement écartée, l’administration régionale fait tout de même le choix de réaliser une enquête de terrain.
Moins d’un mois après les inondations, 180 agents, issus de différents services publics[1] et tous volontaires, vont arpenter les rues de 39 communes sinistrées, rassembler plus de 30.000 données (localisation des immeubles et infrastructures impactés, types d’immeubles, état, hauteurs d’eau …) et réaliser plus de 50.000 clichés.
Parmi les 30.000 données disponibles, plus de la moitié, soit environ 16.000, vont être exploitées pour améliorer la première version de l’état des lieux cartographique déjà diffusé.
Au final, l’exploitation des résultats de l’enquête de terrain a permis de soulever les points suivants :
- la première estimation sous-estimait le territoire inondé,
- possibilité de fournir des indicateurs directement sur les bâtiments et plus uniquement sur certains points de référence,
- nécessité de « nettoyer » les données de l’enquête avant exploitation pour tenter de modéliser les zones inondées/inondables[2]
- pour ne retenir que celles proposant une information utile sur la hauteur d’eau ,
- avec une attention particulière portée à la localisation planimétrique sous peine de fausser la modélisation de l’hauteur d’eau.
Région de Theux (Source : SPW – 2021)
De gauche à droite, digitalisation de la zone inondée sur base des photographies aériennes > Digitalisation de la zone inondée sur bases des photographies aeriennes et localisation des donnees de l’énquête > modélisation revue du cours d’eau durant l’inondation > Modélisation revue avec ajout d’indicateurs pour les bâtiments.
Utilisation de l’outil IDW (Inverse distance weighted)
L’enquête de terrain, son nouvel apport en données et les nouvelles questions qu’elle soulève, mais aussi l’idée d’étendre la cartographie existante aux communes de catégorie II ainsi qu’à certaines entités de catégorie III amènent l’équipe à concevoir un nouveau modèle.
Après plusieurs tentatives reposant sur divers outils statistiques ou/et géomatiques (plans de tendances, plans moyens, krigeage …), c’est finalement l’outil IDW avec une pondération par l’inverse de la distance qui a été retenu[i].
Le choix final s’est porté sur l’outil IDW après plusieurs tests comparatifs :
- sur des zones digitalisées par photographies aériennes avec une zone inondée bien visible,
- sur des zones visitées où la limite inondée restait visible,
- sur des zones où une « modélisation hydraulique » a été possible.
[i] Interpolation par l’inverses de la ditance avec la valeur 3 (courbure selon un « s ») comme choix de l’exposant de la distance et la valeur 450 mètres comme distance utile afin de couvrir toute l’étendue de l’inondation.
Une communication transparente
A l'arrivée, on dispose d’une carte (v3) des zones inondées/inondables qui a fait l’objet d’une longue réflexion collective et qui repose sur le croisement de plusieurs sources. Largement diffusée auprès des acteurs impliqués, elle profite d’abord aux autorités, son premier commanditaire, mais elle s’avère aussi utile à de nombreux autres acteurs (administrations, entreprises, universités …) dans l’analyse et le suivi des inondations .
Au moment de communiquer les premiers résultats à travers cette troisième version de la carte, l’équipe, dans un souci de transparence, a fait un choix fort en dévelopant une symbologie et une légende permettant de rapidement identifier la ou les méthodes utilisées pour délimiter la zone comme inondée.
Extrait de la lengende de la V3 de la carte des zones inondées (Source : SPW - 2021)
Dans un souci de transparence mais aussi de précision, chaque zone dite « inondee » est associée à la methode utilisée pour l’identifier
Une quatrième version partagée publiquement
Si les résultats communiqués à l’issue de la troisème version ont permis de rencontrer de manière plus que satisfaisante l’objectif initial fixé, à savoir celui de disposer de chiffres et d’indicateurs sur l’ampleur des dégâts, le travail ne s’est pas arrêté pour autant.
Vu l’usage pluriel des travaux, l’équipe a poursuivi sa réflexion pour amener encore plus de précision et enrichir les résultats. C’est ainsi qu’au final plusieurs sources complémentaires de données ont a nouveau été croiséesi. Ce sont les résultats de ce croisement qui sont actuellement disponibles dans le catalogue de données du Géoportail.
Ces données complémentaires sont issues :
- d’enquêtes de terrain complémentaires menées par le SPW (agriculture, logement …)
- de données satellites couvrant la période du 14 au 16 juillet 2021,
- d’orthophotos de l’IGN,
- de relevés menés par certaines communes sinistrées
- …
A cela s’ajoute la possibilité , pour une partie des zones inondées, d’utiliser la couche « IDW, (pour rappel une modélisation topographique, et non hydraulique !) informant sur la hauteur d’eau.
Au final, un an après les inondations, c’est une quatrième version qui est mise à dispoqition, non seulement des partenaires mais aussi de toutes les personnes désireuses d’en prendre connaissance.
Accéder à la fiche descritive de la cartographie des zones inondées - Juilet 2021
Consulter la cartographie des zones inondées dans WalOnMAp
Commune de Limbourg – Cartographie 3D des zones inondées (Source SPW – 2022)
Même s’ils sont limités à certaines zones, Les premiers résultats d’une version 3D évoquant l’étendue mais aussi l’hauteur d’eau constatée sont encourageants
Un travail rassembleur, multidisciplinaire, utile et formateur
On entend régulièrement que c’est en faisant face à l’adversité que la force et l’unité d’une équipe se révèlent. C’est le cas pour le travail mené en vue de réaliser l’état des lieux cartographique du territoire wallon concerné par les inondations de juillet 2021. Un travail qui s’est tout d’abord et surtout montré rassembleur. Tourné vers un même obectif, de nombreux acteurs publics issus de plusieurs directions du SPW mais aussi d’autres organismes publics (IGN, pouvoirs locaux, …) ont agi conjointement et efficacement. Un travail multidisciplinaire aussi. Le point commun du travail mené ce n’est pas la géomatique ou l’appartenance à un service, c’est surtout et avant tout le terrtioire. Autour de ce terrtioire, une équipe multidisciplinaire qui mène un travail utile. Utile tout d’abord car il se veut clairement d’utilité publique et nul besoin de démontrer sa finalité citoyenne. Utile aussi car il constiue une vitrine pour la géomatique et l’intérêt que cette dernière représente pour l’aide à la décision et le suivi du travail des autorités et de l’Administration. Enfin, le travail mené s’est révélé formateur. Il a ouvert de nombreuses portes et accéléré la maitrise d’outils et de techniques jusque là inconnues ou peu mises en œuvre.
[1] Dont une équipe de l’IGN Be
[2] On parle zone inondée quand la présence d’eau a été confirmée par les observations sur le terrain ou l’analyse des photographies disponibles. On parle de zone inondable quand la zone a été déterminée selon la méthode d'élaboration de la carte de l'aléa d'inondation.